Eurogroupe : la victoire des petits pays de l’Union
Paschal Donohoe, libéral-conservateur et candidat des « petits pays », est devenu le nouveau « Monsieur Euro » à la tête de l’Eurogroupe.
Par Michel Faure
Quand Emmanuel Macron parle de l’Europe, il donne l’impression de l’aimer, ce qui, pour un président français, constitue une nouveauté qu’il convient de saluer. Dès lors, il a des projets pour elle, et bien sûr rien n’est simple.
Un tantinet bonapartiste, autoritaire et décidé, le président Macron se voit au sein de l’Europe comme une sorte de maître à penser l’avenir. Ce n’est pas un hasard si la liste se réclamant de lui aux dernières élections européennes, quand elle s’est alliée à l’ALDE (l’Alliance des libéraux et démocrates européens), a pris le nom de Renaissance.
Les oubliés de l’Union
Elle a ainsi vite effacé la vision libérale de son partenaire qu’elle phagocyta et annoncé de façon subliminale par cette nouvelle étiquette qu’il serait souhaitable de « faire du passé table rase » pour que l’Union européenne renaisse enfin, comme si celle-ci était à bout de souffle.
Or elle ne l’est pas du tout hors de chez nous. Le 9 juillet, l’élection de l’Irlandais libéral-conservateur Paschal Donohoe à la présidence de l’Eurogroupe le prouve. Les oubliés de l’Union veulent être entendus, ils ont des idées et des projets qui ne sont ni ceux de Bruxelles, ni ceux de Berlin ou Paris.
Même si elle n’a mobilisé ni les foules ni l’intérêt des médias, cette élection a souligné une évidence : l’Union européenne n’est pas la France, ni l’Allemagne non plus, d’ailleurs. Parmi ses 27 membres, 25 se demandent pourquoi ils devraient obéir à un « directoire » franco-allemand. Huit d’entre eux n’ont pas encore adopté l’euro et ne semblent pas pressés de le faire, malgré les traités signés.
Le candidat des petits pays
Mais peu importe, puisque les 19 autres États formant la zone euro s’avèrent eux aussi rétifs à être gendarmés par le duo Merkel-Macron, symbole de la domination des grands pays sur le reste de l’Union. Et c’est ainsi que Donohoe, candidat des petits pays, est devenu le nouveau Monsieur Euro à la tête de l’Eurogroupe.
Membre du parti libéral-conservateur Fine Gael, Donohoe est un enfant de Dublin qui fêtera ses 46 ans en septembre prochain. Étudiant en économie et en politique de l’excellent Trinity College, il connaît bien le secteur privé pour avoir passé sept années au Royaume-Uni chez Procter & Gamble.
À partir de 2004, de retour en Irlande, il entame une carrière politique qui va le mener de la mairie de Dublin au parlement, puis au Sénat, enfin au gouvernement. Il devient ministre des Finances en juin 2017. En octobre de la même année, il présente le premier budget excédentaire de l’Irlande depuis la crise financière de 2006. Ministre économe des deniers publics, donc, il se déclare aussi en faveur de la concurrence fiscale – une horreur pour Paris qui prône « l’harmonisation » des impositions.
Quand il était encore ministre des Finances, Donohoe avait promis aux investisseurs de préserver le taux irlandais de l’impôt sur les sociétés à 12,5 % (il est à 31 % en France).
Il prétend aussi défendre la taxation des géants du numérique, mais a tout fait pour l’éviter, s’opposant habilement à ce qu’elle soit appliquée au niveau national, comme le veut la France, mais au niveau de l’OCDE qui inclut les États-Unis peu enclins à voir leurs entreprises taxées à l’étranger.
Enfin, Donohoe n’est pas l’ennemi de la relance et de la planification, n’en déplaise aux plus libéraux d’entre nous. Il a conçu un « plan national de développement » d’une durée de dix ans et doté d’un budget de 116 milliards d’euros pour préparer l’Irlande à une décennie qui comptera un million d’habitants supplémentaires et 600.000 nouveaux travailleurs.
Le candidat naturel des pays du nord
Malgré cette petite touche keynésienne, le ministre irlandais était le candidat naturel des pays du Nord, généralement libéraux, baptisés les « frugaux » face aux « cigales » du Sud. Sa victoire est importante pour deux raisons : en premier lieu, l’influence croissante de l’Eurogroupe qui rassemble chaque mois les ministres de l’Économie et des Finances des pays de la zone euro, à la veille des réunions elles aussi mensuelles du Conseil des ministres de l’Économie et des Finances (ECOFIN).
Ce « club informel » qu’est l’Eurogroupe, dont la tâche principale est d’élaborer des politiques monétaires communes, a joué un rôle considérable au cours de la crise de l’euro et celle de la dette grecque. Le Brexit vient renforcer cette position éminente puisque désormais la part de la zone euro dans le PIB de l’Union s’élève à 86 %.
La seconde raison est le moment compliqué, voire dramatique, qui nous attend, alors que le Vieux Continent doit affronter une récession majeure après la pandémie de la Covid-19 qui a donné un coup d’arrêt soudain à l’économie mondiale.
Les dernières prévisions de la Commission estiment que la zone euro devrait subir une contraction de 8,7 % en 2020 et l’horizon de 2021 reste incertain. Paschal Donohoe sera jugé à l’aune d’une situation exceptionnelle et le seul vœu à formuler aujourd’hui est qu’il soit à la hauteur de l’enjeu.
Sa victoire était attendue après le retrait volontaire du candidat luxembourgeois à l’issue du premier tour du scrutin, le libéral Pierre Gramegna, soutenu par les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg à l’époque où l’Irlande n’avait pas encore de gouvernement. Au deuxième tour, Donohoe a donc fait face à l’Espagnole Nadia Calviño, vice-présidente du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez et familière de la Commission de Bruxelles où elle a travaillé de nombreuses années.
Bénéficiant de l’appui de la France et de l’Allemagne, ainsi que de la plupart des pays du Sud, elle comptait bien l’emporter avec au moins dix voix promises. Cependant, pour être à la fois socialiste, espagnole et connue pour ses projets renforçant l’intégration de la zone euro, elle a fait peur aux pays du Nord hostiles à une mutualisation des dettes creusées par le laxisme des pays latins.
Défaite de l’Espagne
Grâce au retrait de Gramegna et au talent de Donohoe qui n’a pas effarouché les pays du Sud, leur rappelant que l’Irlande, comme le Portugal et la Grèce, avait elle aussi été mise sous tutelle de l’UE et du FMI lors de la crise de l’euro, Nadia Calviño n’a réuni que neuf voix sur les dix escomptées, une défaite vécue comme un drame en Espagne.
La leçon de cette histoire est que les petits pays du Nord l’ont emporté sur les grands du Sud car chacun avait une voix égale à celle des autres et le vote était secret. Quand l’Europe applique une règle démocratique de base, on découvre alors le « directoire » franco-allemand minoritaire et la fracture entre deux pôles, les petites nations économes, libérales et prospères, en quête de tranquillité, et les grandes nations plus étatisées, dépensières et endettées, mais désireuses de gouverner les autres comme si le droit divin existait encore.
Cette leçon de démocratie européenne devrait être méditée et susciter une réflexion sur les déséquilibres géographiques et politiques de l’Union, ainsi que sur les déficiences démocratiques de ses institutions.
Article original publié le 14 juillet 2020 sur contrepoints.org
Article repris avec l'aimable autorisation de l'auteur et de contrepoints.org
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