Tags : Régionalisme, mondialisme, langues, dialectes, Savoie.

La Savoie, fidèle à ses princes, alpine, francophone : victime des nationalismes du XIX° siècle

16 mai 2021, par Reybaz

La Savoie est un des plus anciens Etats européens. Les comtes puis ducs et enfin rois de la dynastie de Savoie développeront leur influence grandissante à partir de ce petit territoire pauvre et montagneux, passage obligé entre la France et l’Italie, tout en le trahissant. Par rapport à des pays à l’identité forte comme le Pays-Basque ou l’Alsace identifiés à leurs langues, à la Bretagne identifiée par sa spécificité géographique et celtique, à la Corse identifiée par son insularité l’identité de la Savoie est souvent floue aux yeux des Français et beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui ignorants qu’elle est le dernier territoire à avoir rejoint la France et que des mouvements indépendantistes ou identitaires la traversent depuis plusieurs années.

Quelle est donc l’identité de la Savoie ? Qu’est-ce qui la définit ? Quelle est sa différence spécifique ?
Trois aspects contribuent à l’identité propre de la Savoie : la Maison de Savoie, les Alpes et la langue.

La Maison de Savoie

La Savoie se confond jusqu’en 1860 avec l’histoire de la Maison de Savoie (1). Du premier comte de Savoie, Humbert aux Blanches Mains qui fonda la dynastie, au premier roi d’Italie Victor-Emmanuel qui abandonna la Savoie, c’est une relation de plus de huit siècles qui exista entre cette famille et le territoire qui lui donna son nom.
Une première rupture se fit lorsque le duc de Savoie Emmanuel-Philibert décida de transférer sa capitale de Chambéry à Turin le 7 février 1563. C’est la première grande trahison de la maison de Savoie. Emmanuel-Philibert avait récupéré sa souveraineté sur la Savoie occupée pendant 25 ans par les troupes de François 1er grâce au Traité de Cateau-Cambrésis.

centrage photo

Il avait, pour sceller cette paix, épousé Marguerite de Valois la fille de François 1er. Il n’en jugea pas moins nécessaire de mettre les Alpes entre lui et son beau-père ... Ainsi, la capitale du duché de Savoie passa de Chambéry à Turin. Cela scella le destin de la Savoie, abandonnée par le duc, la cour et les élites du duché. Pour compenser le départ de la cour de Savoie de Chambéry, le duc créa le Souverain Sénat de Savoie, ultime pouvoir juridique, législatif, ecclésiastique et diplomatique en Savoie jusqu’en 1860. Ses cérémonies étaient réputées pour leurs fastes. Le sénat remplaçait donc la cour.
Mais que peut compenser la perte, par la Savoie, de la plus prestigieuse relique de la chrétienté, le Saint-Suaire de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Celui-ci était en effet conservé dans la Sainte Chapelle du palais ducal de Chambéry. La relique suivra le duc à Turin. Le sort de la Savoie est définitivement scellé. La Maison de Savoie se tournera de plus en plus vers l’Italie en oubliant la terre de Savoie, berceau de sa dynastie.

(1) « Fortement ressenti par les habitants de l'ancien Duché de Savoie, le sentiment d'appartenance ne répond pas aux critères classiques de l'identité régionale. Il ne se fonde pas, en effet, sur un particularisme géographique ou ethno-linguistique, dans une province où le français s'est précocement imposé comme langue de la culture, de l'Église et de l'administration. Il est essentiellement de nature historique. Du XIe siècle à 1792, les Savoyards ont — mise à part une première expérience de réunion à la France (1536-1559) — vécu sous l'autorité d'une dynastie envers laquelle ils manifestaient allégeance et fidélité. » Paul Guichonnet, , « L'identité savoyarde », Cahiers d'histoire, 42-1 | 1997

centrage photo

La Savoie est une terre alpine

La culture alpine imprègne le territoire, les mentalités et les développements économiques du territoire. Une terre sublime mais rude et inhospitalière qu’il a fallu apprendre à maîtriser, faisant naître une mentalité spécifique, à la fois pragmatique et matérialiste mais aussi religieuse, nourrie par l’expérience de la beauté transcendante des paysages.
Cette mentalité explique les qualités entrepreneuriales de nombreux Savoisiens, qu’on pense aux décolleteurs de la Vallée de l’Arve, aux grands fromagers comme Entremont ou à l’intense développement touristique de la montagne.
Elle éclaire aussi l’existence de très grands noms de la pensée et de la littérature mondiale comme Saint François de Sales ou Joseph de Maistre. Il faut bien constater que le rattachement à la France eut malheureusement pour conséquence un certain tarissement de la vie intellectuelle en Savoie.

La langue

La Savoie est une terre francophone depuis quasiment toujours. En perdant ses princes qui se tournèrent peu à peu exclusivement vers le Piémont, la Savoie se trouva naturellement poussée vers la France vers laquelle de nombreux savoisiens émigraient déjà depuis longtemps pour des raisons économiques.
Il est important de bien comprendre ce caractère profondément francophone de la Savoie car il explique la facilité avec laquelle la Savoie s’est fondue dans la France en oubliant malheureusement son histoire avec la Maison de Savoie et son particularisme millénaire.

Comme en France avec les poètes de la Pléiade, c’est dans ce 16e siècle si riche que se cristallise cette influence linguistique. Peu de personnes savent ou ont conscience que les élites littéraires de Savoie ont joué un très grand rôle dans la constitution du français moderne.

Saint François de Sales, évêque de Genève, est le premier grand auteur spirituel de langue française. Docteur de l’Eglise, sa pensée théologique et sa spiritualité inspirent encore aujourd’hui de très nombreuses personnes dans le monde. Francophone mais fidèle à la Savoie et à son duc ! Le 15 novembre 1615, il écrit au marquis de Lans, gouverneur du duché de Savoie pour se défendre d’un soupçon de collaboration avec les Français ! En effet, l’archevêque de Lyon lui avait rendu visite à Annecy et de mauvaises langues le rapportèrent au duc. Voilà comment il exprime sa fidélité à la Savoie : « Si votre excellence me le permet, je lui dirai avec esprit de liberté, que je suis né, nourri et instruit, et tantôt envieilli en une solide fidélité envers notre prince souverain, à laquelle ma profession, outre cela, et toutes les considérations humaines qui se peuvent faire, me tiennent étroitement lié. Je suis essentiellement SAVOISIEN, et moi, et tous les miens ; et je ne saurais jamais être autre chose. » - Œuvres Complètes, Edition de la Visitation d’Annecy, Vol. XVII, p.91 (orthographe modernisée par l’auteur)

Claude Favre de Vaugelas, fils du président du Sénat de Savoie, Antoine Favre, grand ami de François de Sales, est le premier grand grammairien français.

Honoré d’Urfé, auteur du premier roman-fleuve en langue française, L’Astrée.

Par l’édit de Rivoli du 25 septembre 1561, Emmanuel-Philibert instaura le français comme langue officielle pour la Savoie et la Vallée d’Aoste et l’italien pour le Piémont et Nice. C’est sans doute François 1er et son Ordonnance de Villers-Cotterêts qui influença le duc de Savoie.

Le texte du traité explique bien que le français est la langue commune en Savoie et en Vallée d’Aoste, la plus aisément parlée : « Ayant toujours et de tout tems esté la langue françoise en nostre pais et duché d’Aoste plus commune et generale que point d’aultre et ayant le peuple et sujects dudict pais adverti et accoustumé de parler ladicte langue plus aisement que tout aultre..à cette cause avons voulu par ces présentes dire et déclarer, disons et declarons nostre vouloir estre resolument que audict pais et duché d’Aouste nulle personne quelle qu’elle soit ait à user tant ès procedures et actes de justice que à tout contracts, instruments enquestes et aultres semblables choses, d’aultre langue que françoise à peine de nullité desdicts contracts et procedures... »

Le caractère francophone de ces régions ne fait d’ailleurs absolument aucun doute lorsqu’on étudie la toponymie des lieux.

La question de l’arpitan, antique dialecte français qui allait de la Bresse à Fribourg et de Genève à Lyon est importante. Il est indéniable que la langue est un aspect fondateur d’une identité. Essayer de retrouver un usage quotidien de cette langue régionale est donc légitime pour la Savoie. Toutefois, là aussi, attention au folklore ! L’étrange tendance de certains promoteurs de l’arpitan, anciennement désigné franco-provençal, à « défranciser » des noms de villages est tout simplement une hérésie historique et linguistique. L’exemple de la commune d’Habère-Poche traduit en Âbère d’Amo est tout simplement ridicule et sans aucun fondement historique, linguistique ou d’usage. Je ne nie évidemment pas que l’arpitan est un phénomène linguistique important en Savoie. Ma grand-mère ne parlait pas le français avec mon grand-père ou avec les habitants du village mais son français était magnifiquement pur. Certes elle eut à subir la dictature linguistique de la troisième république mais en Savoie les hussards noirs n’ont pas contribué à promouvoir le français, ils ont surtout tué un bilinguisme pluri-centenaire qui avait toujours été présent en Savoie. D’ailleurs l’âme damnée de l’Annexion, le sénateur français Armand Laity, qui exprima à maintes reprises son mépris pour ce pays arriéré qu’il découvre comme envoyé spécial de Napoléon III déclare toutefois son admiration pour le français parlé et pratiqué en Savoie : « J’ai été frappé de la pureté avec laquelle le plus petit fonctionnaire, le dernier curé de village parlent français ; on ne compterait pas en France plus de 40 départements aussi éclairés que celui-ci. » - Paul Guichonnet, Histoire et Annexion de la Savoie à la France, p.218, 1998

Mais la IIIe République viendra pulvériser ce bel équilibre linguistique qui existait en Savoie. Les ravages causés aux patois et dialectes locaux par cette monstrueuse république font qu’aujourd’hui même les promoteurs de ces langues régionales ont du mal à comprendre cette coexistence d’une langue quotidienne et identitaire à côté d’une langue plus formelle, administrative et littéraire à laquelle ont contribué les gloires littéraires savoisiennes citées plus haut. C’est pourtant ce que vivent aujourd’hui encore tous les suisses alémaniques.

(... suite dans un prochain article).


NB: Le texte publié ici fait partie d'une série d'articles publiés également sur Breizh-info.com



Pages connexes

Liens additionnels


Retweeter

«La résignation est un suicide quotidien» - Balzac

Alsace
Catalogne
Liberland
Toutes les
régions


  Europe
Afrique
USA
Canada
Asie

  Doc générale
Technique(s)
Indépendances
News
Blog

  Homepage
Contact
à Propos
Participer


  Twitter
Bons liens
Archives
Librairie
Tous menus